Les jours passent - Essai par Ryan Rice
Le temps est toujours à l’esprit et à la portée de la main. Il
s’agit d’un processus qui sert à mesurer et à contrôler, et c’est
une habitude qui se produit tant de façon naturelle qu’artificielle.
Il s’agit également de quelque chose qui peut être tout aussi bien
imaginaire qu’inventé. Le temps continue à défiler en un sens.
Toutefois, nous avons toujours l’habitude de regarder en arrière,
parce que c’est là qu’on retrouve le passé. Si l’on va vers l’avant,
on y trouve le mystère de l’avenir. Le monde se préoccupe du temps
parce ce dernier vient influencer directement les habitudes de vie.
Si le temps nous sourit, nous devons reconnaître son rythme naturel
et son passage cyclique qui nous apporte, à coup sûr, un jour
nouveau. Le temps est égal au changement. Nous changeons avec le
temps.
Merveilles des sept jours est un projet multimédia interactif qui a
été conçu par l’artiste Claude Latour, dans le cadre de l’exposition
Les esprits de la tempête, où la notion du temps en évolution
constante est caractérisée par son effet direct sur la communauté
algonquine du territoire de la Première nation Kitigan Zibi, touchée
par les effets directs des stratégies de la mondialisation. La
réserve, autrefois connue sous le nom de « Desert River Indian Band
», est située au nord-ouest du Québec près de Maniwaki (signifie
Mani = Marie, Waki = Terre, ou Terre de Marie). Les révérends pères
Oblats ont fondé, il y a plus de 150 ans, une mission au cœur du
territoire algonquin. Ils y répandront le christianisme à Maniwaki
et dans toute la réserve. Par l’entremise de la colonie religieuse,
la foresterie prend racine, puis une industrie prend racine,
attirant Irlandais, Français et Écossais. Bien que ce mélange
culturel harmonieux entre les communautés des Premières nations et
les colons ait contribué à l’essor de la ville, il apportera aussi
des changements inévitables au mode de vie traditionnel des
Algonquins.
Dans le cadre de l’exposition Merveilles des sept jours, Latour
s’inspire de ses souvenirs d’enfance. Il se souvient qu’en tant
qu’enfant, il recevait le calendrier annuel du Conseil d’éducation
de la réserve. Le calendrier de douze mois et de sept jours par
semaine était présenté en trois langues : en anglais d’abord,
ensuite en algonquin et, en dernier lieu, en français. Les éléments
du pouvoir, de l’économie et de la foi de cette époque étaient
simples et étaient également présentés en toute simplicité. Alors
que les Anglais et les Français ont fait connaître la forme commune
du calendrier Romain, qui représentait les jours et les mois en
occident; les pères Oblats ont développé un calendrier en langage
algonquin, et renommaient les jours pour répondre aux exigences de
la conversion à la foi catholique romaine. Ces formes d’infractions
coloniales subtiles et pleines de tact ont provoqué la détérioration
immédiate des valeurs culturelles et communautaires des Algonquins.
Le temps, tel que le percevaient les Autochtones, ne fut pas
reconnu. Ainsi, le rythme saisonnier, l’année de treize mois et le
cycle des cérémonies, furent effacés du domaine public.
De vieilles photos noir et blanc d’autrefois servaient à illustrer
le calendrier de douze mois. Un certain nombre de ces toutes
premières photos furent prises par le Smithsonian Institute. Comme
ils traversaient nos territoires, leur objectif capturait de la main
droite l’esprit de nos rapports, laissant une histoire illustrée de
notre communauté. De la main gauche, ils dérobaient les ballots
sacrés et autres artefacts, laissant un legs de perte que les
travaux historiques caractériseront de nostalgie.
Latour met la nostalgie de côté et développe, dans Merveilles des
sept jours, un calendrier de l’avènement pour souligner les
conséquences du dénombrement des jours. Au premier plan, trois rangs
de sept boutons cliquables sur un arrière-plan rouge vif. Chaque
rang est identifié au moyen de noms et d’images dans l’ordre qui
suit : le premier, Norse-Romain; le deuxième, Oblates Algonkins; et
le troisième, McDonald’s. Le rang Norse-Roman contient des images du
système planétaire, des tableaux religieux et des images provenant
de cartes de prière illustrent le rang Oblates Algonkins, et enfin
le troisième rang est composé de sept produits d’emballage
alimentaire du restaurant McDonald’s. En mode interactif, on
sélectionne un bouton et l’on appuie dessus pour déclencher une
vidéo Quick-Time qui transmettra un enregistrement du décompte de
sept jours.
Dans le cadre de l’exposition Merveilles des sept jours, Latour
dirige le célèbre journaliste, auteur et réalisateur, Boyce
Richardson, qui interprète en toute simplicité le temps selon le
calendrier romain (Norse-Roman). Le fait d’avoir obtenu la
participation de Latour dans le cadre de ce projet fait signe
d’intelligence et d’un grand esprit progressif. En effet, Richardson
s’intéresse aux conséquences de la mondialisation et il appuie et
respecte le peuple autochtone. Latour inclut aussi le renommé chef
spirituel et aîné, William Commanda, qui offre une traduction
littérale des noms des sept jours de l’anglais vers l’algonquin,
tirés du calendrier oblat-algonquin. Depuis longtemps, Commanda
représente la force motrice derrière le rétablissement de la culture
traditionnelle des Algonquins et le fondateur du Cercle de Toutes
les Nations, une « écocommunauté » d’envergure internationale.
Latour intègre les deux dirigeants, Richardson et Commanda, pour
souligner la sagesse de ces représentants de la communauté. Ici, ces
hommes vénérés ne sont qu’interprètes. Toutefois, ils offrent une
perspective et une compréhension uniques des conséquences de
l’assimilation (religieuse, politique, linguistique), de la
mondialisation (industrielle) et de l’empiètement (colonisation) de
tout ce qui est autochtone.
Le troisième rang du calendrier des Merveilles des sept jours,
intitulé « McDonald’s » renvoie à l’influence de ce géant de la
restauration rapide sur la société. Reconnu pour ses ventes d’un
milliard de hamburgers, McDonald’s a tout autant le pouvoir et le
contrôle nécessaires pour créer un précédent pour une interprétation
contemporaine des jours de la semaine. Quoique le jour Cheeseburger
n’ait rien en commun avec la planète Saturne du calendrier romain,
le jour McFilet observe la pratique religieuse qui est d’éviter la
viande rouge le vendredi, et il vient ainsi répondre à ses propres
justifications économiques. La composante vidéo du calendrier de
McDonald’s contient quelques vaches, des poulets et des poissons
animés par une voix hors champ qui commente les conséquences de la
monoculture du prêt-à-manger sur notre société.
Pour Latour, le fait d’inclure McDonald’s découle aussi d’une
entente commerciale convenue entre Kitigan Zibi Anishinabeg et la
société McDonald’s. Des fonds provenant de la vente de terres de la
réserve viendront aider la communauté à couvrir les frais de
l’affaire en Cour suprême R. v Côté. La communauté algonquienne a
remporté le procès de 1984 qui mettait en cause les règles de chasse
et les droits ancestraux. Cela a porté un grand coup en faveur des
Premières nations du pays tout entier. Toutefois, cette victoire
apporta avec elle une sombre réalité qui consiste en la perte d’une
partie des terres de réserve vendues à McDonald’s. Latour voit cette
perte de terres en faveur de McDonald’s comme une forme d’invasion
progressive. « Après l’arrivée des Oblats, il y a un peu plus de150
ans, une nouvelle forme de mondialisation prend racine, et cette
fois, plutôt que d’essayer de nourrir notre âme, elle nourrit une
nouvelle génération de repas rapides infects, et du même coup, à
l’instar des Oblats, elle donne jour à des noms à l’effigie de
l’entreprise. »
Avec les Merveilles des sept jours, Latour assimile la stratégie de
marque du calendrier de sept jours à une forme de contrôle
économique, politique et social, qui a de profondes conséquences sur
toutes les cultures, et qui ne tient pas compte des différences
culturelles ni du développement progressif, en faveur de
l’accroissement des profits d’entreprises à l’échelle mondiale. Bien
que le calendrier soit représentatif du système mondial conforme sur
le plan international, Latour est heureux que les Algonquins et
d’autres cultures non occidentales ne dépendent pas d’un décompte
précis pour témoigner des merveilles du temps qui passe.