Essai par Kathleen Ash-Milby
Multimedia Avec sa poursuite passionnée en tant que peintre féru de la forme et de la texture, Jason Baerg, artiste du multimédia, a résolument enraciné son œuvre dans la réalité. Fondée sur huit années de recherche sur la forme et l’iconographie, Plaine vérité constitue une nouvelle étape de son œuvre. Par l’intermédiaire de cette récente incursion, Baerg cherche à coloniser d’une présence autochtone le cyberespace de plus en plus concret. Plaine vérité est un univers d’art hybride où l’on intègre à la réalité virtuelle de communautés interactives telles que Second LifeMC, des cyber-galeries élémentaires qui prolifèrent sur le Web. Malgré les limites interactives du site – on traverse cet environnement non pas avec un avatar, mais dans une perspective à la première personne –, Baerg a créé un environnement qui reflète l’espace et le temps d’un point de vue autochtone.
En arrivant au portail de Plaine vérité, le visiteur contemple au travers une fenêtre de légers nuages qui dérivent sur un ciel bleu. Les rivets autour du hublot déterminent la perspective de l’observateur, qui est celui de voyageur, de touriste ou encore d’explorateur assis dans un engin qui s’est envolé, comme un aéronef ou un vaisseau spatial. Dès le départ, on aperçoit brièvement le vaisseau tombant du ciel qui entreprend, le long d’un pilier (un ombilic peut-être), une longue descente vers les plaines. En premier lieu, on ne reconnaît pas le continent, qui ressemble plutôt à une grande île. Baerg a réorienté cette « carte » vue d’au-dessus, inversant ainsi la perspective traditionnelle en occident selon laquelle le nord se trouve en haut de l’écran. Il s’avère que le continent est en fait Turtle Island (île tortue), et que le vaisseau a aussi l’aspect d’une tortue. À la suite de cette descente rapide, le « vaisseau-tortue » décrit un arc et remonte vers une masse de terre qui plane au-dessus. À ce point, la perspective change pour celle d’un navigateur qui gouverne un vaisseau à l’aide d’une carte mécanique où, cette fois, on trouve la forme d’une tortue dans l’élaboration de l’environnement.
Nous pénétrons maintenant un univers auxiliaire. L’île tortue est une création en partie mécanisée où nous naviguons sur la voie d’un rail fixe (notre véhicule est garé au centre). Toutefois, cette île est recouverte d’herbes et parsemée d’arbres et l’environnement acoustique suggère la présence de formes de vie imperceptibles. D’un point de vue esthétique, cet environnement nous rappelle les jeux d’aventures de la série MystMC, ou plus récemment, le jeu de tir subjectif God of WarMC. La bande sonore extra-terrestre de Macroform, avec les battements de tambour intermittents et les chants d’oiseaux récurrents, amplifie notre perception d’une réalité altérée. On incite le visiteur à explorer l’île en utilisant une voie fixe au moyen du bouton « continue » ou avec l’aide de la carte pour bondir directement sur un des quatre ports de débarquement.
En atterrissant sur un port de débarquement, le visiteur se trouve face à l’un des quatre écrans posés sur un roc émergeant en forme de moniteur. Chaque écran, seize en tout, contient une composition numérique de Baerg. Par l’emploi prépondérant du rouge, noir, jaune et blanc, il invoque les couleurs primaires de la roue de la médecine pour désigner les quatre orientations et, comme il l’explique : « les quatre races de l’humanité ». Les dessins sont audacieux, quoique l’emploi des couleurs fait sentir l’influence du peintre canadien Guido Molinari, et insufflés de symbolisme et de regard critique sur la société. Sur chaque composition, on trouve plusieurs symboles – vingt-deux en tout – provenant du projet Metroscope (depuis 2001), qui représentent une méditation continuelle qu’il consacre à l’expérience urbaine .[1]
Collectivement, les compositions reposent sur une évaluation très réfléchie de l’expérience contemporaine du peuple autochtone. Certains symboles tels que le diagramme représentant un réseau informatique et celui qui affiche un petit groupe de valises (« bagages de qualité ») revêtent des connotations du phénomène d’urbanité, et également du défi pour les communautés et traditions autochtones de conserver la connectivité. Cependant, ces symboles nous engagent aussi dans un dialogue plus complexe. Le réseau informatique peut faire penser à l’isolation, à la mécanisation et à l’anonymat, mais ils sont aussi des portails à d’importantes communautés virtuelles populaires chez les jeunes autochtones qui utilisent les plateformes telles que FacebookMC et MySpaceMC. Les oiseaux qui décrivent des cercles dans un dessin se font l’écho des avions dans un autre; deux entités en vol significatives pour la culture contemporaine. L’hélicoptère militaire est devenu un motif répétitif de l’art autochtone récent, représenté par un oiseau de proie menaçant, soulignant l’implication de l’occident dans la guerre en Iraq, notamment, dans les œuvres numériques de Robert Houle et Jason Lujan. Pour Baerg, l’hélicoptère représente « le summum du confort » - le désir permanent de luxe et d’espace qu’ont les citadins. Ses dessins numériques invitent le visiteur à l’exploration, et en trouvant les images dissimulées, il réfléchit à sa propre expérience. Chose intéressante, bien que ces paysages abstraits soient sous forme numérique, l’artiste en a reproduit certains en peinture à l’huile pour une exposition.
L’idée de concevoir un univers numérique indigène « filtrait » depuis plusieurs années déjà, et à plus forte raison depuis 1997, année du lancement du CyberPowWow de l’artiste Mohawk Skawennati. Cet univers interactif comprend des galeries d’art, des écrits, et des événements en temps réel. Plus récemment, on trouve dans Second LifeMC des communautés virtuelles pour les Amérindiens, bien qu’on y trouve aussi de nombreux groupes d’intérêts créés pour les membres qui désirent « jouer » aux Indiens. La virtuosité technologique de la réalité holographique atteinte en science-fiction pour Star TrekMC par exemple n’est pas encore au rendez-vous, mais le désir vif pour les communautés virtuelles reste inchangé. Plaine vérité représente une nouvelle expression de ce désir. Bien qu’il n’en soit qu’à la première ébauche de ce prototype virtuel, Baerg prévoit continuer d’examiner diverses options pour renforcer et élargir la portée de l’expérience du visiteur. Pour Baerg, Plaine vérité représente ses efforts pour atteindre de nouveaux spectateurs et engager le dialogue sur une plateforme mondiale.
Kathleen Ash-Milby